m u l t i p l e s

(Cinéma) Voyager dans le temps


VOYAGER

 

 

VERTIGO

 

LA JETEE

 

12 MONKEYS

 

VOYAGER

DANS LE TEMPS

 


Il nous faut revenir, toujours, reprendre mille fois les mêmes chemins déjà empruntés par d’autres. 

 

 

 

 

« Ceci est l’histoire d’un homme marqué par une image d’enfance. »

 

 

Voir ou revoir Vertigo, La Jetée et 12 Monkeys (L’Armée des 12 singes) c’est replonger dans les strates du temps au cinéma, s’aventurer dans un monde fait de connexions atemporelles, c’est sortir du temps commun pour découvrir les fils invisibles qui relient l’avenir au passé et définissent le présent comme cette éternité à saisir dans l’instant même où il disparaît. C’est refaire le chemin qui nous mène nous même au cinéma, cet « art du temps », où, lorsque l’on revoit un film à un âge différent de sa vie, on perçoit un film différent, « J’ai déjà vu ce film, c’est toujours le même film » dit James Cole (Bruce Willis) devant la projection de Vertigo (dans 12 Monkeys), et pourtant ce n’est plus le même film. Combien de fois avons-nous vu Vertigo ? Combien de fois pourrons-nous ou aurons-nous à le revoir, à le revivre, à le transformer du temps même qui se sera écoulé dans nos vies entre nos visions successives ? Et combien de films qui se connectent encore à ce réseau ? Lost highway, ses dédoublements et sa boucle psychogénique, Marienbad, ses couloirs, ses rencontres répétées dans le parc et ses multiples photographies identiques…Ces couloirs eux-mêmes poursuivi dans l’hôtel Overlook de Shining et qui se ramifient en même temps dans ceux du lycée Watt d’Elephant. Mille autres films et connexions. Les reflets se perdent dans Le Miroir. Infinis comme le temps lui-même.

 

 

 

 

 

« Est-ce le même jour ? Il ne sait plus. Ils vont faire comme cela une infinité de promenades semblables où se creusera entre eux une confiance muette. Une confiance à l’état pur. Sans souvenirs, sans projets. Jusqu’au moment où ils sentent devant eux une barrière. »

 

 

Il faut y revenir. Le cinéma, comme les autres arts, est-il réellement un « art du temps » ? Il y a quelque chose de figé dans cette formule. Déjà que le cinéma soit le seul art qui traite du temps, nous savons que c’est faux. Mais il manque ici surtout le mouvement, temps en mouvement, temps bougé, temps fluide.  Le temps au cinéma, comme en littérature, en musique, en peinture, est décomposé, déformé, modifié, malléable, suspendu, fixé (les vertiges), accéléré et ralenti pour reprendre Epstein. Le cinéma, comme les autres arts, peut-il simplement être qualifié d’art du temps quand il en déjoue le sens, l’orientation chronologique, quand il dépasse les limites du temps humain et historique, quand il nous fait explorer ce qu’il y a entre le temps, ce qu’il reste quand le temps est arrêté ou quand il coule trop vite et devient imperceptible. Le cinéma est donc plus affaire de voyage, d’exploration, il est la véritable machine à voyager dans le temps. Le cinéma : art du voyage temporel.

 

 

 

 

 

 

 

« Elle l’accueille simplement. Elle l’appelle son spectre. »

 

 

Dès les origines, les premiers spectateurs du cinématographe sont les témoins effrayés d’une vie artificielle, dédoublée sur un écran, d’une fausse perspective creusée dans un aplat, d’images grises de fantômes et de revenants, d’un art qui défie la mort et donc le temps. Cette fausse perspective est autant spatiale que temporelle. Nous sommes devant une illusion. Mais cette illusion est si crédible, si réaliste, si vivante. Nous y croyons comme si nous pouvions la vivre, nous nous y projetons, y rêvons. Le rêve devient état de veille. Hypnose. 

 

Il y a entre les différents arts une différence de forme, de technique. Il y a des arts qui nous rendent plus facilement sensibles à tels aspects du réel, d’un réel modifié par la vision artistique. Mais il y a si peu d’intérêt d’opposer les arts les uns aux autres aujourd’hui tant chacun apporte à l’autre en se fondant dans une forme autre, en se transformant en l’autre. Hybridité. Il ne s’agit pas d’adapter un texte (par exemple au cinéma) mais de le retraduire intégralement dans une langue étrangère. La plus belle façon de s’approcher de Proust ou de Woolf au cinéma ne consiste pas à lire leurs livres en voix off mais bien de transcrire leurs phrases, avec leurs rythmes et leurs variations, dans les rythmes et variations de la caméra et du son. Dire un texte en voix off peut être une strate d’un édifice cinématographique, mais l’image devra construire, en contrepoint, en accord et en désaccord, sa propre partition, celle même qui guidera le film au-delà des mots et entre les mots. Il ne s’agit pas de « dépasser la littérature », ce qui est impossible, il s’agit de s’en approcher autrement, par un regard autre. Car la création, pour tous artistes, n’est-ce pas toujours se confronter aux mêmes limites : qu’est ce que la vie ? Peut-on arrêter le temps ? Peut-on modifier le cours de la réalité en la recréant ? Peut-on défier la mort ?

 

 

 

Ce que Woolf et Proust révèlent dans la littérature, ce temps accéléré, simultané, que rien ne peut arrêter, fixer, chez Woolf, ce temps déplacé, revécu, aboli, chez Proust. Du temps flux au temps fixé, dans cette vitesse absolue et cet arrêt, dont le final de 2001 donne à ressentir la vibration, un simultanéisme impossible apparaît. Nous voici plongés, du temps, au temps modifié, transformé, par les souvenirs, les rêves eux-mêmes. Et de ce temps modifié nous voici propulsés vers un en dehors du temps que ce simultanéisme révèle. En même temps naissance, mariage et mort chez Vertov, en même temps peinture impossible, absence, et peinture terminée chez Woolf, Venise dans Combray et la montagne dans la mer chez Proust, la mort dans la vie dans La Jetée.

 

 

« Plus tard il comprit qu’il avait vu la mort d’un homme. »

 

 

Lumière, noir, jour, nuit, veille, sommeil, présence, absence, vie, mort, intermittence éternelle. La vision se double d’une « non-vision », la vie de la mort, la veille du sommeil, le réel des songes, le blanc du noir. Etrange répétition qui veut que la lumière émerge de la nuit et que la vie n’existe que par rapport à la mort. La présence se double d’une disparition. L’Eclipse d’Antonioni. Être c’est accepter de ne pas être. De même le temps se double d’un hors temps.

 

 

 

« Rien ne distingue les souvenirs des autres moments. Ce n’est que plus tard qu’ils se font reconnaître, à leur cicatrice. »

 

 

L’art, la création, qui naît d’un décalage, d’un hiatus, d’une blessure dans le réel, ne cesse de reproduire le temps, de le reformer, le déformer, l’accélérer et le ralentir jusqu’à l’arrêter, le rendre invisible ou trop visible, à la recherche, sans cesse renouvelée, de ce moment gardé/perdu, de cet instant de rupture qui ouvre une brèche dans le temps. Arrêter la vie, arrêter le temps. Mouvement impossible de l’art, qui cherche là, justement, le point d’entrée vers ce qui constitue la vie, à l’endroit même où celle-ci nous échappe, vivante et présente de cette impossibilité même à être saisie.

 

Vibrante, tremblante, la vie s’est réfugiée hors du temps, entre-deux mouvements de mon corps, entre les images et les mots, elle coule, comme l’eau, mais à une vitesse incalculable. Je ne peux la voir et elle me regarde. Etait-ce la vie ? Etait-ce la mort ? Ou simplement, l’intervalle ?

 

 

 « Il devait revoir longtemps le soleil fixe, le décors planté au bout de la jetée et un visage de femme. »

 

 

Par Nicolas Droin, le 18/04/2012.

 

Extraits en italiques issus de La Jetée, de Chris. Marker.



 

 

 

A VOIR ( EN LIEN) :

 

L'EXPERIENCE : voyage dans le temps d'une marche

 

UN MONDE RENVERSE et DEUX MONDES : 2 haïkus, aux frontières du temps

 

CONSTRUCTIONS : ce film raconte l'histoire d'un homme...

 

 

 


21/04/2012