FRANK
De Nicolas Droin
2007
« Pourquoi la mélancolie demande t’elle un infini extérieur ? Parce que sa structure comporte une dilatation, un vide, auxquels on ne saurait fixer de frontières (…) Plus la conscience de l’infinité du monde est aiguë plus le sentiment de sa propre finitude s’intensifie. »
Cioran
Il est question d’images et de sons. Pas de dialogues. Pas d’histoire. Une ligne. Cette ligne c’est celle de Frank, mais très vite cette ligne se dédouble, se triple, se multiplie. Il y a comme des déviations possibles, il y a des doubles ou des clones, chaque scène constitue une variation autour d’un thème. Comme en musique. Mais toujours tout est connecté à Frank, à son appartement, d’où il trace les plans de la ville, où il s’enferme. Les différentes lignes, ou variations autour de la ligne, se rejoignent à la fin du film.
Il est question également d’intérieur et d’extérieur. C’est là que le montage est important. Comment faire se rencontrer deux « personnages » hétérogènes, comment tracer des connexions entre des lieux hétérogènes, comment faire se répondre, s’amplifier, deux images hétérogènes. Ce qui importe c’est comment les éléments se connectent ensemble, et ce qui résulte de chaque nouvelle connexion.
Il n’y a plus de personnage, au sens habituel du cinéma, il y a pourtant un être qui circule d’une image à l’autre, changeant parfois de costume, se suivant lui-même jusque dans les profondeurs de la ville. A l’origine une envie claire : le même acteur joue les trois « êtres » ou les trois « positions » : Frank, L’homme au chapeau et L’homme au club de golf. Il suffit d’une image de l’un, d’une apparition de l’autre ou d’un regard du troisième pour que le cours du film varie, pour que les frontières s’effacent. Un regard peut valoir un acte au cinéma. Un regard peut diriger un acte. Frank s’observe dedans/dehors, enfermé/ouvert, les yeux clos/grands ouverts, seul/plusieurs, vivant/mort.
Le cinéma permet de donner vie aux fantômes, aux ombres, aux doubles, et ce, avec le maximum de réalisme. Ce qui est filmé existe aux yeux du spectateur. Or ce que l’image, aujourd’hui numérique, enregistre, c’est la vie non organique du monde. Ce n’est plus une question de métaphore comme en littérature, ni de représentation comme en peinture : l’image du film donne vie aux pensées, les lieux comme autant de labyrinthes, couloirs sombres et étroits, ramifications, nerfs, cerveau en action. Les lieux sont des espaces « réels » et des espaces « mentaux » dans le même temps. Il n’y a plus besoin d’un fondu enchaîné pour passer du visage du personnage au couloir qui mène à la fois à un fond réel et au fond des souffrances mentales de l’être/film. Car le film est l’être qui souffre, le film est l’esprit dans lequel le spectateur s’égare.
Nicolas Droin
Mars 2007
Extrait
FRANK par multiplesdv