m u l t i p l e s

MATISSE

 

 

MATISSE PAIRES ET SERIES,

à propos de la variation dans la répétition

 

 

 

                                        

 

 

 

"Considérons, la répétition d'un motif de décoration : une figure se trouve reproduite sous un concept absolument identique... Mais, en réalité, l'artiste ne procède pas ainsi. Il ne juxtapose pas des exemplaires de la figure, il combine chaque fois un élément d'un exemplaire avec un autre élément d'un exemplaire suivant. Il introduit dans le processus dynamique de la construction un déséquilibre, une instabilité, une dissymétrie, une sorte de béance qui ne seront conjurés que dans l'effet total. Commentant un tel cas, Lévi-Strauss écrit : "Ces éléments s'imbriquent par décrochement les uns sur les autres, et c'est seulement à la fin que la figure trouve une stabilité qui confirme et dément tout ensemble le procédé dynamique selon lequel elle a été exécutée"."

Gilles Deleuze, Différence et répétition

 

L'exposition présentée à Beaubourg, MATISSE PAIRES ET SERIES, donne à ressentir cette dissymétrie, cette instabilité, cette "béance" dont parle ici Deleuze.

 

 

Durant l'exposition, plusieurs modalités de la reprise, de la répétition, sont tour à tour présentées comme elles ont, tour à tour, et parfois en même temps, été expérimentées par Henri Matisse.

 

De la reproduction du même "tableau" dans une forme autre - dans une variation du style(1) - à la reprise d'un même motif dans une composition différente, en passant par les étapes de transformation d'un même tableau photographiées par l'artiste (donnant à voir les multiples tableaux compris, et aussi effacés, annulés, par le travail de l'artiste pour obtenir une forme finale), l'exposition appréhende tous les pôles de la variation dans la répétition, du mouvement d'un même motif. Le motif, pris ici dans les multiples déformations qu'il subit et qu'il fait subir à la composition(2).

 

Mais aussi, et surtout dans le cas de Matisse, cette exposition "dédoublée" permet de mesurer non la recherche d'un style, qui s'affirme partout, toujours semblable et toujours différent, mais plutôt comment le style pour Matisse est dans l'intervalle, non pas dans la comparaison d'un tableau et de sa variation (l'un n'est pas mieux ou moins bien que l'autre(3)), mais entre les deux tableaux, entre deux compositions d'un même motif, entre deux bougés du pinceau et entre deux regards(4).

 

La multiplicité des formes explorées par Matisse n'expriment pas la présence d'un doute profond de l'artiste sur son propre travail de création mais une mise en doute de la pertinence de l'unique, de la supériorité d'une voie sur une autre. De ce point de vue, il est bon de constater qu'il n'y a pas, ici comme ailleurs en art, d'"évolution", mais une reprise constante du même, qui se fond toujours en l'autre, qui se meut toujours en sa différence.

 

L'artiste est explorateur de formes et, entrant dans la transformation de la forme et dans la variation même du motif, il "surgit" là où il ne s'attendait pas lui-même.

 

 

Les étapes, photographiées par Matisse, de la constitution de son propre tableau montrent que ces variations, au-delà de présenter chacune un tableau qui est une oeuvre qui aurait pu et mérité d'être exposée en tant que telle, sont un passage d'un pôle à un autre, d'une forme à son contraire. Mais ces étapes se font par fondus, qu'on diraient "enchainés" au cinéma, même s'il sont ici successifs(5). La variation se fait par mouvements lents, d'un bras qui est déplacé, d'un trait qui est effacé. Il y a ici comme un montage, un assemblage, que nous donne à voir le peintre. Travaillant par ajouts ou par effacements, Matisse découpe et colle, comme il fera par la suite directement avec le papier, et à force de déplacer, recommence, part ailleurs.

 

 

Nicolas Droin

 

 

 

 

 



02/06/2012