m u l t i p l e s

(Théâtre-vidéo) JE VOIS


JE VOIS

 

 


JE VOIS [ou mon petit cinéma], conception et mise en Scène Anne-Marie Marques, production les arrosoirs(compagnie)

  Crée en  Novembre 2010 à L'Arche, scène conventionnée pour l'enfance et  la jeunesse à Bethoncourt (25)


 

 

Je  Vois   Perspectives multiples

 

Un bout de fenêtre, un coin de sable, une voiture miniature comme des mondes à explorer : « Je Vois » nous propose un voyage, dans l’espace et le temps, dans les souvenirs de l’enfance, dans les mondes que l’on s’invente à partir d’un tas de sable ou de photographies.

 

Tournés et créés en direct, les courts-métrages nous proposent une écriture à la frontière du sensible et du cinématographique. A partir d’objets insolites, de jouets, de décors minuscules, la caméra laisse apparaître des mondes sur l’écran. L’écriture des images joue alors de ce rapport de perspective, entre le très petit et l’immense. Les photographies défilant se jouent de notre sens de la perspective et le labyrinthe/jardin de Mélie en est l’illustration poétique : nous voyons des photographies que nous reconnaissons comme telles mais nous ne pouvons nous empêcher d’y voir de la profondeur, de la perspective.

 

Cette écriture, entre le très proche et le lointain, ce montage entre les souvenirs et notre quotidien semble au cœur du projet « Je Vois ». Or cette écriture nous renvoie aussi au cinéma, aux débuts du cinéma et à nos « petits cinémas » : nos souvenirs/images, nos propres vidéos, les premiers films d’animation ou le cinéma muet. On pense à Tati (la plage), à Renoir (la fenêtre). On pense aussi à Dziga Vertov qui définissait dans les années 20 le cinéma comme « montage du « Je vois » », c'est-à-dire une écriture de la vie avec la caméra, la caméra comme « Ciné-Œil » qui nous permet de rapprocher des mondes éloignés, de saisir le temps et même de l’arrêter. « L’Homme à la caméra » était le premier film à rapprocher les perspectives, le proche et le lointain, comme avec un télescope, mais un télescope comme celui dont parlait Proust, c'est-à-dire un télescope qui permet de voir dans le temps.

 

On passe ici d’un monde à un autre. Du voyage au sommeil, du jardin à la chambre. Et ce passage s’inscrit par des « mouvements » et des « déplacements » des corps et des objets sur scène. Déplacements et mouvements en musique, qui évoquent tour à tour un rêve, une attente, un accès de rapidité. Les « passages » d’un film à l’autre tissent comme un autre film qui se joue sur le plateau, ils ouvrent l’espace scénique à l’imaginaire qui n’est plus simplement dans les images qui sont crées sur le plateau mais qui déborde et contamine la scène, au point de faire passer une plongée sous marine pour un rêve nocturne. L’Ecran de projection devient simple projection colorée, et la projection est tout autant physique que mentale.

 

Le travail d’Anne-Marie Marques interroge depuis plusieurs années la place de l’image dans le spectacle vivant. Associés aux mots, aux gestes où à la musique, les images s’écrivent en direct. Car il s’agit bien d’une écriture. Ecrire des images, écrire avec des images, comme on écrit avec des mots, comme on compose une partition musicale, comme les gestes forment un langage.

 

L’image chez Anne-Marie Marques naît d’un véritable travail de cadrage, recadrage et décadrage. «Je Vois » réinvente une écriture sensible avec les yeux, la caméra et l’ouïe. Car la création des images dans « Je Vois » n’est pas simplement cinématographique, nous ne sommes pas réellement au cinéma : cette vision est aussi sensible : la caméra tremble, frôle, touche avec l’objectif. Ces images, ces cadres, sont tout autant issus de notre mémoire affective, de nos souvenirs, de nos premières images, que de nos souvenirs cinématographiques (pour les plus grands).

 

Comme dans un « ciné concert », la musique et les créations sonores en direct de Fredéric Hug nous donnent à entendre un montage sonore qui transforme l’image et les gestes. Un rythme né, tant de l’image que de la musique, et nous emporte dans une danse. Ici la magie est donc autant dans la création des gestes en direct qui font naître des images que dans la création des sons en direct qui font naître de la musique. Et les enfants qui assistent au spectacle assistent peut-être tout à la fois à leur première « projection », leur premier « spectacle » et leur premier « concert ». Dans un montage du « Je Vois ».

 

Nicolas Droin


 

 



06/02/2011