Le Vertige des possibles
Le Vertige
des possibles
"Il y a ce bleu, ce bleu qui fait tout basculer..."
JH Roger / Juliet Berto, Neige
Vertige
Devant le film de Vivianne Perelmuter
Poétique, nocturne, urbain
Des années que l’on rêvait de voir un tel film à l’écran
Un film non sans histoire mais avec toutes les histoires possibles
Un labyrinthe aux sentiers qui bifurquent
Un film non « contre la narration » mais qu’il faut définir pour ce qu’il est
Une proposition intense/intime de cinéma
Une topo-esthétique intime de la ville
Nos lieux
Nos lieux contemporains
Ceux que le cinéma ne filme plus
Lieux de nos errances, de nos vies nocturnes
Ces lieux qui nous traversent autant que nous les traversons
Un monde de reflets, d’ombres, de lumières qui aveuglent,
De couleurs qui coupent, de corps qui tanguent, de murs qui parlent/écrivent
Une archéologie du temps présent
Nos murs et tags comme les empreintes des grottes préhistoriques
Mains négatives
Un poème
Le risque du poème, fragile, sur un fil
Un texte, écrit, dit
Le risque du texte et de l’image
Un texte envoutant, multiple
Qui chante, pleure, crie le monde et nos errances
Le « aussi bien » comme le « et » deleuzien
Formation de mots/d’images en rhizome
Constellations de possibles
Il y a aussi ces amis avec lesquels on n'arrive plus à parler
Il y a la solitude au milieu des foules
L'absence qui n'est pas une posture
Et surtout la ville
Un Paris nocturne, filmé comme pour la première fois (ou la dernière)
Ville engloutie, sous-marine, ville ruine, ville flux
Traces d’un monde en composition/décomposition
En construction/destruction
Et nos ombres vidéographiques, qui apparaissent/disparaissent sur l’écran urbain
Au milieu du labyrinthe, enfin, dort une femme
Un poème dans le poème
A une passante
Un visage, une étincelle, un passé
Un corps
« Dans les rues de la ville il y a mon amour.
Peu importe où il va dans le temps divisé.
Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler.
Il ne se souvient plus; qui au juste l'aima?
Il cherche son pareil dans le vœu des regards.
L'espace qu'il parcourt est ma fidélité.
Il dessine l'espoir et léger l'éconduit.
Il est prépondérant sans qu'il y prenne part.
Je vis au fond de lui comme une épave heureuse.
A son insu, ma solitude est son trésor.
Dans le grand méridien où s'inscrit son essor, ma liberté le creuse.
Dans les rues de la ville il y a mon amour.
Peu importe où il va dans le temps divisé.
Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler.
Il ne se souvient plus; qui au juste l'aima et l'éclaire de loin pour qu'il ne tombe pas? »
René Char, Allégeance, in La Fontaine narrative, 1947.
La rencontre entre les deux femmes
Dans un couloir mur jaune/fenêtre bleue
Leur rapprochement/éloignement à distance
Proche de cette distance même
La fragmentation vidéo de leurs corps
Reste l’un des plus beaux moments de cinéma que l’on aura pu voir ces dernières années
Vertige et montage, télescopage des possibles
Il faudrait dire aussi la force magnétique, sensuelle, de ce montage
De ces plans, de cette musique
Mixage et montage par couches, strates sonores
Dire la lignée poétique dans laquelle s’inscrit Vivianne Perelmuter
Dire aussi le temps que représente la réalisation d’un tel film
Les allers et retours constitutifs d’une écriture de la ville
Multiple
Dire le tournage/montage, dire le temps long
Les interstices dans lesquels le travail du film se réalise presque sans nous
Dire que l’on peut rêver un film et que le rêver c’est déjà un peu le faire
Dire le Vertige
Mais il n’y a plus de mots, plus d’images
Il faut revoir le film, s’y plonger
S’y fondre
Nicolas Droin, 15/04/2014
Le Vertige des possibles passe dans une salle à Paris,
Au Saint André des Arts. C’est là que le cinéma se passe,
Ce n’est pas la marge, c’est le milieu d’où tout part.
https://www.facebook.com/levertigedespossibles?fref=ts
« Es-tu toi-même ou ne l’es-tu pas ? Je n’en sais rien, je n’en ai pas connaissance, je n’ai pas connaissance de moi-même. Je suis amoureuse, mais je ne sais pas de qui ; je ne suis ni fidèle, ni infidèle. Que suis-je donc ? Je n’ai pas connaissance de mon amour : j’ai le cœur à la fois plein d’amour et vide d’amour ! »
Robert Musil, L’Homme sans qualité, tome 2.
« C’est la méthode du ENTRE, « entre deux images », qui conjure tout cinéma de l’Un. C’est la méthode du ET, « ceci et puis cela », qui conjure tout cinéma de l’Etre = est. Entre deux actions, entre deux affections, entre deux perceptions, entre deux images visuelles, entre deux images sonores, entre le sonore et le visuel : faire voir l’indiscernable, c’est-à-dire la frontière (…) »
Gilles Deleuze, L’Image-temps. Cinéma 2